Témoignage : Ils ont choisi le porno amateur pour gagner leur vie | Désirs coquins

Témoignage : Ils ont choisi le porno amateur pour gagner leur vie

Sommaire

Ils se sont rencontrés il y a sept ans. « Lulu », le gars, finissait ses études dans le supérieur, « Leo », la fille, cherchait à les reprendre. Tous deux déroulent alors leur stratégie pour lancer leur carrière dans des secteurs qu’il sera tout à fait respectable de citer dans un dîner en ville. Mais en parallèle de leur plan de carrière, les deux tourtereaux se découvrent une passion mutuelle pour les « nudes ». Ils s’envoient régulièrement des photos de leur corps sur Snapchat. Plutôt de jolies photos. « On n’habitait pas dans la même ville alors je faisais des efforts sur l’esthétique », précise Leo.

Cet attrait pour la nudité se traduit aussi par des parties de jambes en l’air dans des espaces publics (toilettes, rue ou encore campagne). De simples échanges de photos, ils passent aux clubs exhibitionnistes. Ils se mettent aussi à faire des « cams », des directs où des centaines, voire des milliers d’internautes viennent les regarder faire l’amour devant leur caméra. Plusieurs heures pendant lesquelles ils animent un « show ». Objectif : rendre le spectacle assez excitant pour inciter les téléspectateurs à leur demander de faire des choses… contre un pourboire.

« C’était de l’entertainment, il fallait garder la foule chaude durant très longtemps », se rappelle-t-il. « Au bout d’un moment, on n’avait plus assez de temps pour ces « lives » et on a préféré produire des vraies vidéos. » C’est là que naît le tandem Leo & Lulu sur PornHub, l’une des principales plateformes de vidéos pornographiques.

Témoignage : Ils ont choisi le porno amateur pour gagner leur vie | Désirs coquinsAu bout de six mois, leur chaîne comptabilise un million de vues. Quatre mois plus tard, le chiffre est déjà multiplié par cinq. Aujourd’hui, quatre ans après le lancement, ils ne cumulent pas moins de 700 millions de vues. Avec une rémunération comprise entre 60 et 65 centimes les 1.000 vues, Leo & Lulu auraient perçu d’après nos calculs plus de 400.000 euros de PornHub. Cela fait deux ans qu’ils ont arrêté leur carrière « classique » pour vivre uniquement de cette activité, qu’ils déclinent au-delà de PornHub puisqu’ils ont trouvé un public sur Instagram ou OnlyFans, une plateforme sur laquelle on paie un abonnement pour avoir accès à des comptes.

A l’image de Leo & Lulu, plusieurs couples se sont lancés dans le porno amateur, attirés par l’idée de gagner de l’argent tout en assouvissant un désir exhibitionniste. Le schéma est souvent le même : comme eux, ils font leurs armes sur des sites de webcam. Preuve de cet engouement : en France, d’après le classement Alexa (filiale d’Amazon), Chaturbate, l’un des leaders du marché des sites de cams, est le 18ème site le plus consulté, devant PornHub (22ème rang), Cdiscount et les principaux médias hexagonaux. Mais tous ne connaissent pas la gloire de Leo & Lulu qui ont eu la chance (ou le flair) d’être parmi les premiers couples à se lancer en France. Désormais, la concurrence est rude.

Le boom d’Onlyfans durant le confinement

Pour une fellation, une pénétration ou une sodomie, les internautes rémunèrent les « performers » à l’acte qu’ils veulent voir s’opérer sous leurs yeux. Une grande partie peut profiter du spectacle sans payer un euro. Ce modèle dit « freemium » vient chambouler le marché traditionnel où il fallait payer dès le départ des acteurs (souvent des actrices) pour une session vidéo. Désormais, le pourboire est roi et c’est à celle qui saura se montrer la plus convaincante.

Lisez aussi :  Charlie F, 35 ans, camgirl: "On a le droit d'aimer le sexe"

Pris dans la compétition mondiale, les « performers » doivent se montrer plus convaincants que la webcam de droite animée par une Américaine ou celle de gauche animée par une Roumaine. Cela semble fonctionner au vu des chiffres de fréquentation. Et le confinement est venu booster ce marché. Les camgirls ont croulé sous les demandes de shows.

Pour satisfaire leurs clients, elles investissent aussi des plateformes payantes d’entrée de jeu, comme OnlyFans ou Patreon, les nouveaux terrains de jeu des camgirls et des acteurs pornographiques. Créée en 2016, OnlyFans a reçu plus de 3,7 millions de nouvelles inscriptions et accueilli 60.000 nouveaux créateurs de contenu depuis le 1er mars, soit une augmentation de 75 % en un mois, selon la société. La plateforme a bénéficié à plein de la popularité de la chanteuse Beyoncé qui a mentionné en avril dernier OnlyFans dans sa reprise de « Savage » de la rappeuse Megan Thee Stallion, une chanson très populaire avec les challenges TikTok pendant le confinement. Sans surprise l’entreprise a gagné un pic d’audience de 15 %. Rien que ça ! Elle compte aujourd’hui 20 millions d’utilisateurs.

Un business lucratif

Sur OnlyFans, à chacun ses tarifs ! Les créateurs demandent entre cinq et 50 euros par mois pour accéder à leurs contenus. Leur gain varie aussi en fonction des pourboires versés par leurs fans. Cette activité peut s’avérer très rentable. En mars dernier, l’une des stars de la plateforme, Monica Huldt, une créatrice de contenus pour adulte basée à Los Angeles a confié à Business Insider qu’elle gagnait près de 100.000 dollars (92.000 euros) par an grâce à son compte OnlyFans. Bien sûr, ce succès n’est pas donné à tout le monde ; une grande partie n’en tire pas plus de quelques centaines d’euros par mois.

La plateforme ne touche que 20 % des gains des créateurs quand sur YouTube la rémunération varie en fonction de l’algorithme. Pour une demande spéciale (un show en sous-vêtement avec une peluche) Monica Huldt facture 150 dollars (131 euros), en plus de l’abonnement. « Ce n’était rien de sexuel, je devais juste me huiler et m’asseoir sur le visage de l’ours », indique la créatrice de contenu qui est aussi très active sur Instagram, où elle publie des clichés plus sophistiqués. Sur OnlyFans, elle préfère des photos artisanales prises avec son téléphone et partage des selfies et des « nudes » qu’elle ne pourrait pas publier sur Instagram où la représentation du sexe reste proscrite. « Sur OnlyFans, l’idée est d’être proche de la communauté », précise-t-elle. L’influenceuse consacre en moyenne deux heures par jour pour répondre à une cinquantaine de messages quotidiens.

Lisez aussi :  Ma femme exhibée en voiture

Le porno amateur offre plus de diversité et de proximité

Avec l’explosion d’OnlyFans et des sites de « cams », c’est le porno traditionnel qui en prend un coup. Certains décrivent une industrie standardisée qui exhibe des corps aussi parfaits qu’introuvables dans la vraie vie. Le porno amateur donne à voir une diversité, souvent boudée ou caricaturée par les grands studios du X. D’autres accusent une pornographie trop distante, trop froide, où le scénario écrit à l’avance et l’absence d’échange entre acteurs et spectateurs empêche l’identification, la proximité.

Même l’image trop léchée semble moins attirer. Leo & Lulu ont fait ce constat quand ils ont voulu professionnaliser leur matériel. Ils ont acheté une caméra et une lampe dernier cri. « On s’est vite rendu compte que c’était moins bien pour donner à voir aux gens, même si la qualité de l’image était supérieure », affirme Lulu. « Une GoPro et un téléphone, ça marche très bien ! »

L’ubérisation du secteur

Presque tous les acteurs professionnels vendent désormais leurs propres vidéos en plus de leurs tournages en studio. Cette transformation se traduit dans les sources de revenus. Dans un récent article de The Economist, le directeur de Private, un important producteur de porno ayant son siège à Barcelone, constatait que s’il y a dix ans, trois quarts des revenus des acteurs provenaient des producteurs et un quart de business personnel, les proportions se sont désormais inversées. La désintermédiation du secteur est telle qu’il est parfois plus intéressant pour certains acteurs de rester amateurs.

Quant aux stars du porno amateur, hors de question de faire le chemin inverse, même pour un gros chèque. « Ce ne serait pas très intéressant pour nous de travailler pour des studios », affirme Lulu. « Aujourd’hui, on produit le contenu qu’on veut et on gagne bien notre vie. Ils n’auraient rien de plus à nous offrir. » Certains studios ont compris la révolution qui était à l’oeuvre et ont décidé d’embrasser le changement. Le studio Brazzers a créé une plateforme pour donner accès à tous les contenus personnels produits par ses acteurs, contre une commission.

Une proximité avec les acteurs à double tranchant

Pendant le confinement, où les tournages ont été stoppés pour des raisons évidentes de gestes barrières non respectés, le porno amateur a permis à des acteurs pros de joindre les deux bouts. L’actrice française Luna Rival a déclaré que son compte OnlyFans lui a sauvé la vie. Elle a ainsi pu gagner 1.200 euros par mois alors que tout était fermé. Ou cette mère et strip-teaseuse américaine qui confie au Huffington post que ses vidéos lui ont permis de nourrir sa famille pendant le confinement .

Mais cette proximité offerte par le porno amateur peut aussi être un risque pour la sécurité des personnes. Pour s’en protéger, Vic Alouqua, une actrice de 26 ans qui possède des comptes OnlyFans, Instagram (41.000 abonnés), Pornhub et Facebook, a un message très clair : « Pas de Google Hangout, pas de WhatsApp, pas de Snapchat, pas de rencontre et pas de numéro de téléphone ».

Lisez aussi :  "Le porno est une balade dans mon imaginaire sexuel" (Bérénice, 30 ans)

L’addiction à l’argent facile

Côté consommateur, ce porno plus proche, moins onéreux signifie aussi que l’addiction n’est qu’à portée de clics. Les législateurs français planchent actuellement sur une proposition de loi qui devrait permettre au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de demander la fermeture des sites pornographiques qui sont accessibles aux mineurs, ceux sur lesquels le contrôle de l’âge n’est pas strict.

Quant aux acteurs, la dépendance à l’argent facile peut vite les piéger. L’investissement initial est quasi nul pour produire ses premières vidéos pornographiques. De jeunes adultes peuvent lancer leurs chaînes et gagner des sommes importantes. Quid de leur e-réputation quand ces vidéos circuleront encore sur le Net au moment où bien des années plus tard ils voudront se lancer dans une nouvelle carrière ? Le site Jacquie et Michel qui a fait sa renommée sur des scènes de porno amateur autour des années 2000 voit aujourd’hui fleurir les demandes d’actrices qui veulent disparaître de leur site au nom du « droit à l’oubli ». Leo & Lulu ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : leurs visages sont à chaque fois dissimulés pour préserver leur anonymat.

A l’heure du selfie permanent, les nouvelles générations ont créé une culture de la publicité de soi sur internet, quitte à faire tomber les barrières de l’intime. Pour Noémie Aulombard, chercheuse en science politique spécialisée dans les questions de corps et de sexualité, il faudrait une forme d’éducation à la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux, une sorte d’éducation sexuelle sur Internet – notamment une sensibilisation au consentement.

D’autant que votre vie intime peut facilement se retrouver en libre accès sur la toile. En novembre dernier, les experts de Condition : Black, une entreprise spécialisée en sécurité informatique, ont révélé des failles de sécurité sur plusieurs sites de webcam gérés par l’entreprise VTS Media, selon le site américain TechCrunch . « Amateurtv », « Webcampornoxxx » et « placercams » ont alimenté une base de données, sans aucune protection et, ce, pendant plusieurs semaines. L’affaire touche près de 330.000 d’internautes, situés en Europe, et plus particulièrement en Espagne. On y trouve les identifiants des visiteurs mais aussi ceux de camgirls, leurs adresses IP – identifiant unique permettant d’identifier le propriétaire d’un accès internet, mais également des messages privés échangés sur le site, des adresses mail, l’historique des vidéos consultées et certains mots de passe. Pas de quoi refroidir visiblement l’emballement de part et d’autre pour ce nouveau genre, ni freiner le business qui va avec.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *