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Elles ont entre 24 et 44 ans et regardent des vidéos ou films pornographiques. De leurs ressentis lors des premiers visionnages à leurs rituels de consommation, en passant par les bénéfices qu’elles en tirent, ces femmes racontent tout sans tabou.
«Bouleversant.» Juliette* pèse ses mots, les cherche avec soin pour décrire au mieux ce qu’elle a ressenti devant sa première vidéo porno, il y a sept ans. Elle en a alors 19 et habite chez ses parents. Elle se met dans son lit, surfe sur le site Youporn. «Je me sentais ridicule, je riais en me disant « on dirait un ado de 13 ans ». Il y avait aussi un côté transgressif.» Son dernier clic se pose sur une vidéo de porno amateur, elle regarde, se masturbe. «Un déclic», dit-elle. Elle a le corps et la tête à l’envers. Pour la première fois, la jeune femme jouit seule.
Aujourd’hui âgée de 26 ans, elle regarde de la pornographie environ une fois toutes les deux semaines, comme beaucoup d’autres «spectatrices» d’ailleurs. Peu de chiffres précis existent sur la consommation des femmes, mais il suffit de sonder son entourage pour saisir que la pratique n’est pas marginale. Les derniers travaux conséquents sur le sujet en France remontent à 2008, dans l’enquête Contexte de la sexualité en France, réalisée entre 2004 et 2006. «C’est ancien, mais ça n’a pas énormément changé depuis», informe Ludivine Demol, chercheuse doctorante à l’université Paris-VIII. Les enseignements ? Trois femmes sur quatre (73%) déclarent avoir déjà vu un film pornographique au cours de leur vie, une sur cinq (20%) affirme avoir visionné «souvent et parfois» de la pornographie durant les douze derniers mois. Depuis, en 2012, un sondage Ifop en partenariat avec Marc Dorcel (chaîne de télévision payante diffusant des contenus pornographiques et appartenant à la société Marc Dorcel, NDLR) notait également qu’une Française sur deux visionne des films seule, et que 18 % des femmes en regardent régulièrement ou de temps en temps.
Lili regarde des vidéos plusieurs fois par semaine, «pas de films parce que je suis impatiente, j’ai besoin de rapidité, d’efficacité», précise la jeune femme de 25 ans. Quand elle cherche ce qu’elle veut voir, elle fuit les ralentisseurs, les publicités, les sites qui demandent une inscription. Elle le fait seule ou avec son partenaire. «Je change régulièrement de sites, parfois je consulte le même pendant longtemps, ça dépend des périodes», décrit-elle. «C’est plus rare quand je suis en couple mais ça peut m’arriver, indique quant à elle Juliette. Si je ne vois pas mon copain, je me fais du bien, un peu comme avec un carré de chocolat.»
Amateur, lesbien, SM
«Les jeunes générations en consomment plus que l’ancienne, commente la chercheuse Ludivine Demol. Avec Internet, les jeunes femmes ont un accès « facilité ». Avant, elles étaient exclues, désormais on a un rapprochement des pratiques entre les deux genres.» Pour Flore Cherry, journaliste sexo pour le site érotique de Union Magazine, «après 2005, le lancement des « hubs » (des plateformes de diffusion gratuites comme Pornhub, Redtube ou encore Youporn, NDLR), a joué».
Les premiers contacts avec la pornographie ont lieu tôt. 13 ans pour Lili. «J’y suis allée par curiosité, je voulais voir autre chose que ce qu’il y avait dans les téléfilms érotiques qui passaient tard le soir, je voulais quelque chose de plus explicite», précise-t-elle. En plein bal des hormones pendant l’adolescence, il y a aussi l’envie de voir à quoi ressemble le sexe adulte, de mettre des images sur des pratiques évoquées dans la cour de récréation. «On discutait des femmes fontaines avec des amis, ça m’a intriguée et je suis allée regarder une vidéo», illustre Lalita, 27 ans, qui estime sa consommation actuelle à trois ou quatre fois par mois. Et puis, il y a celles dont les yeux se posent malgré elles sur le porno. À 24 ans, Zoé se souvient du premier film visionné et montré par «les garçons en soirée quand ils étaient bourrés»
Sur internet, les films tagués MILF, teen ou gros seins sont loin d’avoir une audience strictement masculine. Tous les chiffres s’échinent en effet à casser les clichés: les femmes fréquentent elles aussi les plates-formes de pornographie en ligne. Leur proportion, au détriment des hommes, ne cesse d’ailleurs d’augmenter.
Cette tendance est notamment soulignée par la plate-forme Pornhub, qui publie chaque début d’année des statistiques détaillées sur l’activité de ses visiteurs. Aujourd’hui, les femmes représentent un quart du trafic mondial sur ce site, star du genre. Dans certains pays, comme la Suède ou la Slovaquie, elles constituent même un tiers de l’audience.
Irrépressible envie
Alyssa, 23 ans, fait partie de ces gens facilement titillés par Eros. Si elle n’est pas spécialement une collectionneuse de partenaires, cette Fribourgeoise confie ressentir un besoin fréquent de faire l’amour et d’expérimenter de nouveaux trucs sous la couette. Son intérêt marqué pour la chose l’amène aussi à fréquenter une ou deux fois par semaine des sites classés X :
«C’est un peu comme une manière d’entretenir un feu intérieur. Avant de m’endormir, le soir, ou même pendant une pause aux toilettes au travail, je peux passer plusieurs minutes à regarder des vidéos sur mon natel pour faire monter la température, comme pour poser quelque chose de concret sur l’envie qui me traverse à certains moments.»
Le poids des images
En plus d’être des individus plutôt désirants, les consommatrices de porno auraient un mécanisme sexuel particulier. «Ce sont des femmes qui, à l’instar de la plupart des hommes, peuvent faire naître immédiatement une excitation grâce à un support simplement visuel, éclaire Philippe Brenot. Elles constituent une minorité, puisque le mode d’excitation féminin fonctionne plus volontiers avec d’autres stimuli sensoriels, des éléments puisés dans l’imaginaire ou dans la sphère littéraire. Les adeptes du X ont, eux, beaucoup besoin de voir pour s’exciter et font moins appel à leurs fantasmes.»
Evidemment, on tendrait à imaginer que les femmes surfant sans tabou sur des sites hardcore font d’abord partie des jeunes générations. Plus connectées, sans doute? Plus décomplexées, peut-être? Encore un cliché. A regarder les fameuses statistiques Pornhub d’un peu plus près, on constate vite que la proportion de femmes adeptes du porno est la même dans toutes les classes d’âge.
Un support pas toujours masturbatoire
Chacune a ses habitudes de consommation, son rituel. «Je sélectionne une vidéo qui m’attire, je la regarde en entier et ensuite je visionne de nouveau les scènes qui m’excitent et je me masturbe devant», détaille Lalita, habituée du site Pornhub. Quand elle veut se toucher, Juliette affirme avoir besoin de se projeter. Le porno lui sert de décor, les vidéos de tremplin. «Le son a aussi une grande importance», ajoute-t-elle. Lili voit la pornographie comme le moyen de ressentir de l’excitation et se masturbe la plupart du temps après. «Elles nourrissent mon imagination, ensuite je préfère laisser libre court à mon esprit pour me masturber», précise-t-elle.
Pour d’autres, les films et vidéos ne font pas office de support masturbatoire. Sidonie ne se touche pas devant ni immédiatement après non plus. La trentenaire, qui se définit comme un être très sexuel, voit le sexe comme un art porteur d’inspiration. «Cela m’intéresse beaucoup, c’est très présent dans ma vie, que ce soit dans les domaines artistique, littéraire… C’est un mélange de curiosité et de fascination, d’excitation pour ce que les gens font avec leur corps», explique-t-elle. Ainsi, sa consommation ne répond pas à un besoin, «le porno n’est pas un exutoire. Je suis des personnes, des performers. Quand quelqu’un publie une vidéo, je vais la regarder», indique-t-elle.
Le droit à jouir
Juliette parle très librement de sa consommation personnelle. Elle la voit comme une affirmation de son désir, son droit à jouir. Rien d’étonnant pour la chercheuse Ludivine Demol, selon qui, regarder du porno s’inscrit pour certaines femmes dans une «montée d’un certain féminisme». Certaines abordent le sujet avec leurs ami(e)s, se donnent des idées, des conseils. «Quand on en parle, j’ai l’impression que ça libère certaines femmes», avance Zoé.
Et pour cause. Si quelques-unes le revendiquent, la pudeur ou la honte en font souvent taire d’autres. Les ressentis des femmes devant leur première vidéo porno sont révélateurs. «Je me disais que je n’avais pas le droit de regarder ça, je me demandais si c’était bien», se rappelle Lili. «J’étais partagée entre la culpabilité due à mon éducation catholique, et l’excitation», complète Zoé.
«La consommation de pornographie par les femmes renvoie socialement à une pratique pas totalement dans la norme», affirme Ludivine Demol. Lors de ses recherches, elle analyse d’ailleurs les commentaires d’un post de blog sur la pornographie. Parmi les interventions – très rares – de femmes, la chercheuse remarque plusieurs profils. «Il y avait celles qui assument d’en regarder, celles qui disent ne jamais le faire parce qu’elles sont des filles, et enfin, celle qui s’interrogent : « je suis une fille, j’en regarde, suis-je normale ? », explique-t-elle. En réalité, le tabou n’est pas lié à la pornographie en elle-même mais à la sexualité féminine. En clair, les filles ne sont pas censées s’intéresser au sexe, et donc encore moins au porno. Il y a une restriction genrée. Les hommes se justifient moins parce que ce sont des hommes. C’est normal, c’est leur sexualité».
«Une femme qui consomme du porno fait peur à certains hommes, cela renvoie à une insatisfaction sexuelle», complète Flore Cherry, journaliste à Union Magazine. Si Lili parle aujourd’hui librement du sujet avec son partenaire, cela n’a pas toujours été le cas : «Certains de mes anciens copains considéraient cela comme de la tromperie, leur ego était blessé». À 44 ans, mariée et mère de trois enfants, Jodie visionne du porno en secret. Elle a bien essayé d’en discuter avec son mari, un homme «pudique et réservé», en vain. «Il m’a regardé étrangement, s’est demandé si je voulais aller voir ailleurs. Il n’est pas dérangé mais il y a quand même un côté, « je ne te satisfais pas, il y a un problème ». Je fais avec, mais ça me pèse. J’aimerais qu’il soit avec moi», confie-t-elle.
Le désir a ses raisons que la raison…
Pourtant, ce goût pour les catégories trash pourrait bien être de l’ordre de la catharsis, souligne Viviane Morley. «Les femmes subissant nombre de violences sexuelles et de harcèlement dans la vie, elles se réapproprient peut-être ce rapport de pouvoir habituellement exercé contre elles pour l’explorer, jouer avec.»
Frisson de la transgression, résurgence de schémas sexuels primitifs… fantasmer sur des scènes de sexe brutal serait dans tous les cas le fait de femmes possédant une conjugaison de traits narcissiques et d’ouverture d’esprit, selon des chercheurs texans ayant examiné la question en 2015. Le ressort de cette excitation très Basic Instinct? Je suis tellement désirable que les hommes n’arrivent plus à se contrôler.
Vers plus d’éthique
Reste que, diversité des subconscients féminins oblige, toutes les internautes n’adhèrent pas à ce registre. Plusieurs enquêtes montrent qu’en dépit de pratiques de visionnages répandues et assumées par une part non négligeable de femmes, ces dernières demeurent plus susceptibles de trouver choquante ou dégradante l’imagerie pornographique que leurs homologues mâles. D’où, probablement, le boom des requêtes pour du porno féminin constaté sur les plates-formes de X.
Pourquoi elles aiment ça?
Dans un grand sondage sur la sexualité des femmes, mené en 2017 par Femina, nous révélions que la moitié des femmes s’adonnaient à l’autoérotisme au minimum une fois par semaine. Activité qui, comme chez les hommes, se conjugue parfois avec un visionnage de film. «Oui, évidemment, les femmes se masturbent devant du porno, elles ne sont pas différentes des hommes pour cela, confirme Viviane Morey. Et puis l’incroyable palette de catégories actuellement disponibles sur les plates-formes en ligne leur permet de trouver exactement ce qu’il leur faut pour s’exciter.» Et atteindre rapidement l’orgasme. A l’instar de Manon, 33 printemps, en couple depuis six ans:
«J’ai remarqué, il y a déjà longtemps, que les vidéos porno de gang bang, d’orgies étudiantes et parfois de bondage m’émoustillaient terriblement. Lorsque je suis seule à la maison, il m’arrive d’en regarder tout en utilisant mon vibro préféré d’une autre main. Avec ce combo, je peux réussir à jouir en quelques minutes, parfois deux ou trois fois d’affilée. J’ai aussi des orgasmes avec mon copain, mais devant des scènes comme ça, mon excitation a quelque chose de plus sauvage. C’est une sorte de petit bonus de plaisir dont je ne parle à personne d’habitude.»
Une influence certaine sur la sexualité
Peu importe l’avis de leur entourage ou de la société, toutes identifient parfaitement ce que la pornographie leur a apporté. Sans être l’unique facteur d’apprentissage, elle a permis à Lili de découvrir des pratiques inconnues quand elle était plus jeune. «La fellation, par exemple. Je regardais des vidéos d’actrices montrant comment la pratiquer.» «Ça m’a permis d’identifier les choses qui me faisaient envie, comme le porno lesbien», ajoute Sidonie, 30 ans.
Parce que certaines se masturbent devant ces vidéos, elles apprennent à identifier leur plaisir, le maîtrisent, savent sur quel «bouton» appuyer. «Le porno m’a décomplexée, j’ai plus confiance en moi. Ça m’a aussi servi dans ma façon d’aborder les hommes. Au lit, je me dis que j’ai le droit, le droit à mon plaisir», indique Zoé.
Pour d’autres, la pornographie s’avère libératrice. C’est en regardant des vidéos que Jodie, à plus de 40 ans, découvre qu’elle est femme fontaine. Et enfin, le porno confirme des désirs parfois enfouis. Margaux est catégorique : «Il y a dix ans de cela, j’aurais refusé de faire du SM, je n’aurais pas assumé, alors que j’en avais déjà envie».
Cette quête d’une intimité spéciale entre soi et son désir, à l’abri des regards même les plus intimes, explique sûrement pourquoi les femmes visionnent davantage de vidéos pornos sur leur smartphone, tandis que les hommes sont plus nombreux à consommer ces contenus depuis un ordinateur. Comme si, pour elles, regarder de telles vidéos était encore une sorte d’activité clandestine, à taire. «J’utilise toujours un onglet privé sur mon navigateur, poursuit Manon, ainsi personne ne peut retrouver ce que j’ai consulté.»
Pratique secrète qui semble cependant avoir un impact bien concret et durable sur leur vie. Une enquête Ifop de 2014 soulignait les conséquences de la porn culture dans la vie intime des gens: épilation intégrale du pubis, fabrication de sextapes maison… une seconde étude Ifop, cette fois en 2017, montre même qu’une jeune fille adulte sur trois estime que le visionnage régulier de pornographie en ligne a participé à l’apprentissage de sa sexualité.