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Un langage explicite peut accompagner les caresses et faire grimper l’excitation lors de la relation sexuelle.
« Lorsque nous faisons l’amour, j’ai envie de dire des mots crus à Matthieu, mais je ne parviens pas à les prononcer, je me contente de les penser », confie Éliane, 30 ans, en couple depuis six mois. Si certains craignent d’employer un langage obscène et de dévoiler leur imaginaire, d’autres y voient un bon moyen de faire connaître leurs désirs et fantasmes et, plus généralement, d’enrichir l’acte sexuel.
Noémie, 30 ans, a l’habitude de s’épancher par SMS à chaque nouveau début de relation. Une bonne manière pour elle de tester progressivement le pouvoir de ses mots sur son partenaire: « J’y vais en douceur. Par exemple, je lui écris d’abord: ‘J’ai envie de toi’ et j’observe sa réaction. Si elle est positive, je sais que je pourrai me permettre de parler au lit », confie-t-elle.
Pour la jeune femme, passer par l’écrit est un moyen de faire grimper l’excitation en attendant les retrouvailles. « Les mots cochons s’adaptent au contexte érotique, commente Alexandra Hubin, sexologue et auteure de Je Sexopositive! (éd. Eyrolles). Il est question d’y aller crescendo en utilisant un langage verbal en adéquation avec le langage du corps. »
Perte de contrôle
Lola, 34 ans, constate quant à elle que ces mots viennent naturellement lorsqu’elle atteint un degré d’excitation qu’elle juge puissant. Si les mots semblent découler d’un mécanisme conscient et travaillé -contrairement aux cris et aux gémissements perçus comme plus instinctifs- ils peuvent aussi être pulsionnels.
« Quand on se dit des mots crus, j’ai le sentiment qu’on veut se posséder, l’acte sexuel devient déchaîné, bestial, je perds le contrôle. Je lui dis que je veux le ‘bouffer’. Je lui demande de me prendre violemment, de me tirer les cheveux », raconte Lola. « L’excitation est parfois plus forte que la raison et conduit à une déconnexion momentanée des régulateurs sociaux. On ne se demande plus ce qu’il faut dire ou non, la pudeur tombe et les mots jaillissent », observe François Perea, auteur de Le dire et le jouir (éd. La Musardine). Une sorte de point de bascule, ou de transcendance, où nous lâchons complètement prise.
S’exciter soi-même
En revanche pour Antoine, 29 ans, dire des mots cochons est un acte réfléchi. « C’est un cercle vertueux. Je dis ces mots quand je suis excité et cela m’excite encore plus, au même titre qu’un préliminaire« , témoigne le jeune homme, qui confie donner des ordres à son compagnon comme: « Prends-moi » ou « Fais de moi ce que tu veux. » Des expressions que les auteurs de l’étude américaine sur le Dirty Talk – parler crûment, réalisée en 2015 et publiée dans les Archives of Sexual Behavior, qualifient « d’échanges individualistes », c’est-à-dire émis dans le but de s’exciter soi-même.
En parallèle, les chercheurs identifient d’autres échanges dits « mutualistes », composés de déclarations d’amour, de conseils et d’encouragements. Ils ont aussi démontré que, parmi les couples qui parlent au lit, les femmes préféraient prononcer des termes liés à la soumission et entendre un vocabulaire de domination.
Pour autant, les mots qui s’inscrivent dans ce registre ne sont pas dénués de sens du partage, selon François Perea: « En réclamant ou en imposant, on instaure un climat de confiance et on invite l’autre à agir de manière plus transgressive », précise l’expert.
Jurons transgressifs
« Avec Noémie, nous échangeons des phrases obscènes au lit. C’est excitant de flirter avec les limites », témoignage Thomas, 32 ans. Un vocabulaire qui plaît également à sa compagne. Mais pour elle, ce n’est pas tant une question d’interdit, qu’une forme de lâcher-prise librement consenti: « J’aime que Thomas me traite de tous les noms au lit et moi je n’hésite pas à lâcher des mots crus.’ Ils sont tabous au quotidien, mais dans l’intimité, tout est permis. Thomas peut me traiter de salope et je vais aimer ça… Dans la vie de tous les jours, sûrement pas », ajoute-t-elle.
Deux avis qui attestent du caractère transgressif des mots vulgaires comme support excitatoire. « L’éducation linguistique de nos sociétés conduit à évacuer certains thèmes de la vie sociale. Il y a ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Les jurons et insultes sont considérés comme tabou, et si la scène sexuelle est intime, elle reste en partie socialisée », explique François Perea. Sortir dudit cadre en entendant des mots vulgaires -qu’ils viennent de soi ou de son partenaire- nous apporte le sentiment d’être quelqu’un de plus effronté et nous plonge dans un état d’exaltation.
« Abandonner le langage policé dans un contexte érotique, insulter son partenaire ou encore avoir envie de se faire insulter ne reflète aucune envie de violence, dès lors que le couple est sur la même longueur d’onde. Cela signifie simplement que l’on se dépouille de nos identités sociales pour augmenter le plaisir », décrypte François Perea. Recevoir des insultes excite car on devient la « chose » de l’autre. A l’inverse, émettre des jurons nous octroie une certaine puissance.
Depuis plusieurs années, le SM soft a fait son entrée dans nos vies sexuelles. « Pour autant, la vulgarité au lit, au même titre que des pratiques comme la fessée ou l’usage des menottes, n’est pas l’expression d’une brutalité ou de fantasmes sadomasochistes », éclaire Alexandra Hubin, sexologue.
Franchir la limite des mots vulgaires aide alors à mettre en scène des jeux qu’il n’est pas toujours simple d’amener avec le seul langage du corps. « C’est en lui disant que je suis son esclave ou qu’il m’excite comme une dingue que je mène la danse. Nous aimons tous les deux être, à tour de rôle, celui qui dirige et celui qui obéit. Nous nous en sommes aperçus grâce aux mots cochons prononcés rapport après rapport. Je n’aurai pas osé lui dire, hors de l’acte, que cela me tentait », confie Amandine, 32 ans.
Les insultes et les mots érotico-vulgaires possèdent alors une valeur expressive en plus de leur capacité d’excitation: ils permettent de communiquer, de dévoiler ce que l’on aime ou ce que l’on attend. Un moyen comme un autre, en couple, d’échanger dans le feu de l’action, là où discuter en dehors du lit de ses désirs sexuels est parfois plus compliqué.